Dans notre histoire d’enfants d’immigrés, de Français avortés, d’indigènes de France, il a manqué quelques éléments de compréhension de chaque part.
Du côté des blancs, nos « référents » (professeurs, éducateurs, médecins, voisins) pensaient tous que nous étions différents.
Et surtout ils pensaient que chez nous, c’était là-bas! Alors que dans ma tête de gamin de 7 ans, chez moi, c’était ici! Je ne connaissais que ça.
Enfin pas complètement, il y avait les vacances au bled, mais comme le petit Marcel décrivait ses vacances à la campagne ! Chez moi, c’était mon quartier encore très mixte, très multiculturel. Et comme chez nous, c’était ici et un mois par an, là-bas, on avait dénommé notre quartier Dallas.
Mais il y avait toujours cette chose bizarre qu’on me disait que je ne comprenais pas tout à fait : « c’est comment chez vous ? ». C’était surement bizarre parce que dans mon esprit de gosse, il n’y avait pas de rupture radicale entre chez moi et dehors. Dehors, c’était dehors et chez moi, c’était l’appartement, rien d’autre.
Mes parents, malgré l’usage de l’Algérien à la maison, ne m’ont jamais dit « chez eux ».
C’est peut-être pour ça que je n’ai jamais compris l’altérité qu’on m’opposait, sur laquelle on me questionnait. Ce que je connaissais, c’était dar « la maison » et licoule “l’école” avec une exigence à l’excellence très marqué par papa.
Donc, nous étions des écoliers tout à fait normaux, même si à l’époque, nos enseignants (pas tous) portaient un regard très différent sur nous de part nos origines.
Mais dans nos têtes de mômes, du moment que nos amis nous voyaient comme leurs pairs, les grands pouvaient nous ignorer, ça ne nous touchait pas.
Par contre, lorsqu’ils étaient injustes et qu’ils nous maltraitaient, ça nous marquaient à vie, comme tout enfant, je suppose.
Maman portait un foulard traditionnel Algérien, elle ne sortait jamais sans papa. Elle recevait à la maison les voisines et la famille, mais était très peu autonome.
Plus tard, elle nous a expliqué, à mes sœurs et moi le pourquoi de cette réclusion domestique. Alors qu’elle était jeune, fraîchement arrivée du bled et heureuse de découvrir la France, elle est sortie au centre Bernard Palissy avec des amies. Elle avait l’air de passer un bon moment selon ses dires.
Je ne sais pas si elle nous a tout raconté ou si elle a conservé une partie trop brutale ou honteuse de l’histoire pour ne pas nous heurter ou par pudeur.
Mais un policier zélé leur (elle était avec des amies) a fait un contrôle d’identité marquant. Assez marquant pour la dissuader, tout le reste de sa vie, de retenter cette sortie au centre commercial à 500 m de la maison.
Alors voilà comment cette gosse Française (ma mère) a compris que dans le regard de l’autre, du blanc, elle n’était pas une vraie Française.
C’est douloureux certes.
Très douloureux.
Un peu comme avec le rapport à la mère et la nécessité de « tuer » la mère symboliquement en psychanalyse, et bien là, j’ai dû aussi haïr ma mère patrie, celle qui m’avait déçue, celle qui rejetait ce que j’étais pour pouvoir mieux m’émanciper de l’altérité, cet handicap, qu’elle me renvoyait à la figure.
D’ailleurs, je me rappelle de cette crise autour de mes seize ans. Je faisais un exposé dans mon lycée peu mixte sur les illusions d’optique. A la fin de l’exposé, j’ai dit:
« Nous, Français, nous percevrions la chose de la manière suivante. »
Et là, Manu, un copain de classe, que j’aimais bien et qui adorait faire le clown en classe me reprit :
« chez nous ???? »
Je n’avais pas compris tout de suite pourquoi sa réaction avait entraîné l’hilarité générale de toute la classe.
« Hahaha »
C’était terrible, j’ai ri amèrement aussi pour « sauver » la face.
Quelle face ?
Celle de « gnoule » qu’on venait de me renvoyer, ou celle du groupe qui était entrain de rire d’une blague raciste.
Encore cette fichue différence.
Elle est là, en eux.
Elle est en eux cette différence, pas en moi.
C’est leur regard qui était biaisé par des générations de racisme national et colonial, pas le mien.
Sinon comment expliquer que mon histoire est l’histoire de France. Mes références étaient Françaises à cet âge là.
Ma culture extérieure était Française.
Et là, comme un affront, ce pote me disait que je ne faisais pas parti de son groupe.
Ce rejet a eu raison de mon sentiment d’appartenance.
Et au bout du compte, j’ai détesté la France comme elle m’a détesté et rejeté. Je le disais à ma famille. Comme si j’avais une autre alternative !
Alors cette année là, en juillet, lorsque nous sommes montés dans la camionnette familiale pour descendre au bled, c’est comme si j’allais enfin me retrouver chez moi. J’étais heureux, excité, à l’idée de conforter mon sentiment d’être d’ailleurs.
Ah le bled!
Là bas, au moins, mon physique fait de moi un Algérien.
Là-bas, je serai chez moi !
Le voyage en France fût clément, loin des chaleurs caniculaires habituelles. L’été était pluvieux, ce qui faisait que nous n’avions pas besoin d’allumer le mini ventilateur qui se situait sur le tableau de bord et de me tordre le cou afin de saisir un peu de fraîcheur. On avait même tellement froid par notre immobilisme que nous partagions les quelques centimètres carré de couverture qui étaient emmené au cas où.
L’attente à Marseille était d’une nuit. Je suis resté sur le port à contempler les reflets de l’eau et je pensais à mon année scolaire, à mes vacances passées et à ce que ça changeait d’aller au bled en étant un jeune gosse.
Je m’endormais sur ce sentiment de toucher la paix de près.
La paix intérieure.
Appartenir à un lieu, à une histoire…
Le lendemain, nous embarquions.
Et le passage du trajet le plus détestable pour moi est de se retrouver parqué dans cette soute de bateau.
Il y règne une odeur à vomir.
Alors je me presse un bout de vêtement sur le nez en attendant de sentir l’air marin sur le pont.
Nous sommes arrivés à Alger.
Ah Alger la blanche !
On la sent tout de suite l’Algérie.
C’est différent.
Dépaysement total.
Le passage de la douane est toujours une épreuve pour papa et son porte monnaie. Quelle bande de rapaces ces douaniers! Ils extirpent aux vacanciers autant qu’ils le peuvent.
Les voilà, à la fin de la journée avec au moins 5 ou 6 fois leur salaire mensuel.
J’ai toujours eu un profond mépris pour ces hommes qui usent de « rachoua » (corruption) sans aucune gêne. Et pour chaque enfant de voir son père obligé de participer à cette corruption est juste insupportable. Avec leurs gros bidons pleins d’alcool, ils se tiennent fiers comme des piquets.
Ils n’ont pas le sens du devoir mais le sens cupide est exacerbé chez eux.
Ils se foutent de la loi ou du bien commun.
C’est peut-être pour ça qu’ils ne sont pas prêts, les Algériens au pouvoir, à un Etat démocratique après tout.
Ca demande le dépassement de la conscience individuelle.
La douane passée, nous voilà posés dans un parking pour aller prendre le fameux petit déjeuner rifain.
Un vrai délice, des galettes de blé tendre, du thé bien sucré et brulant.
Papa se lâche au bled, en Algérie, et nous offre ce qu’il ne peut pas offrir en France à sa grande famille. En Algérie, on connaît les joies d’une sortie au resto ou d’un brunch familial. Qu’est ce que c’est bon d’y gouter là où papa et maman sont chez eux.
En retournant à la voiture, deux hommes d’une vingtaine d’années, nous (ma sœur et moi) examinent du regard. Je vois bien leur regard se poser sur ma sœur et moi, mais je pense que c’est des dragueurs et je n’y prête pas attention. Ma joie est trop grande d’être « chez moi ».
Et là, un des gars se retourne et lâche:
« Z’magra wellou lbladkoum » (Les immigrés rentrez chez vous).
Le choc fut terrible.
Toute la rage que je venais d’abandonner en France a ressurgi.
Quoi ?
Moi?
Immigré en Algérie ?
Je venais de me prendre en pleine face ce que les blancs pensaient souvent mais ne disaient pas aussi brutalement.
Sans gants, sans retenue, il venait de faire de moi un apatride.
Je n’étais pas chez moi là bas non plus.
Tout d’un coup, je venais d’apercevoir, que chez nous, là bas, au pays des droits de l’Homme, c’était les lois du droit du sang et du sol, de la déchéance de nationalité qui se discute.
Chez nous, ici, la nationalité se limite, selon certains, qui se proclament plus patriotes que les autres !
Chez nous, là bas, au pays de l’égalité, la réforme constitutionnelle annoncée et l’introduction de la déchéance de nationalité pour les nés en France, heurte de plein fouet l’idéologie et la morale : non-discrimination, société ouverte et multiculturelle.
Elle met en place une différence juridique fondamentale entre deux catégories de Français : Nous, les binationaux, issus de l’immigration, et les autres, eux, Français d’origine.
Les premiers pourront être déchus de leur nationalité Française, et non les autres. Elle est donc strictement à l’opposé de toute la morale actuelle fondée sur l’égalité des droits, la non-discrimination, le rejet de la distinction entre Français immigrés et d’origine.
Chez nous, ici, je vois qu’un jour, un législateur rancunier, ira jusqu’à proposer de priver ces citoyens à double nationalité de leur droit de vote, car après tout, la Constitution a bien inféré qu’ils ne sont Algériens qu’à moitié». Et c’est ainsi qu’un climat d’apartheid sera établi. Le spectacle est terrifiant, apocalyptique.
Je laisse le soin aux futurs générations, enfants d’immigrés, indigènes indignés, comme nous tous, de sauver la nation.
Binationaux, et alors !
La contradiction de l’ancien article 51 et de son amendement tel que proposé !
ARTICLE 51 : L’égal accès aux fonctions et aux emplois au sein de l’Etat, est garanti à tous les citoyens, sans autres conditions que celles fixées par la loi.
La nationalité algérienne exclusive est requise pour l’accès aux hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques.

La contradiction de l’ancien article 51 et de son amendement tel que proposé !
ARTICLE 51 : L’égal accès aux fonctions et aux emplois au sein de l’Etat, est garanti à tous les citoyens, sans autres conditions que celles fixées par la loi.
La nationalité algérienne exclusive est requise pour l’accès aux hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques.